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La vente en criée

Quand le poisson rencontre le marché

Texte de Jacques Le Meur pour l’Espace des sciences/Maison de la Mer – 2010

Comment fonctionne la vente à la criée ?

Le mode principal de vente du poisson frais est la criée qui met face à face l’offre des pêcheurs et la demande du marché dans un lieu portuaire spécifique. Autrefois, les enchères étaient données à la voix dans la halle a marée, d’où le terme « criée » qui, par extension, a fini par qualifier aussi le lieu où se déroule cette vente.

A Lorient, les pêcheurs et les armateurs débarquaient leurs poissons qui étaient triés par espèce et par taille, rangés dans des caisses en plastique et recouverts de glace. Cette opération se déroulait la nuit. Au petit matin, en général vers 6 h, la vente démarrait sous la responsabilité d’un agent du port appelé « crieur ». Les mareyeurs se déplaçaient en groupe devant chaque lot. Une fois lancée la vente, ils surenchérissaient avec des signaux propres à chacun et bien connus du crieur. Quand le lot était attribué, il recevait un ticket précisant la quantité, l’espèce et l’identité de l’acheteur. Il suffisait alors de livrer les caisses dans les magasins des mareyeurs.

Vente de thons germons à la voix

Côtiers et hauturiers

Dans de nombreuses criées, cohabitent deux types de vente. Les pêcheurs du large proposent des volumes importants en espèces de fond telles que le cabillaud, le merlan, la julienne, le merlu, etc, capturées dans des campagnes de une à deux semaines. Les pêcheurs côtiers, qui opèrent sur un ou deux jours, débarquent des espèces plus variées et considérées en général comme plus nobles, telles que le rouget, la langoustine, la sole.

Dans les grands ports, les ventes sont séparées. Les produits du large sont vendus aux seuls mareyeurs. La criée côtière est ouverte aux mareyeurs et aux poissonniers de la proche région. Ces derniers doivent passer par les mareyeurs pour compléter leur approvisionnement en poissons du large nécessaires à la variété de leurs rayons

Vente côtière - vente hauturière

L'informatique : les ordinateurs à petit pas

La vente n’a pas pu échapper à la révolution informatique. Mais, compte tenu du nombre élevé de références à traiter, en termes d’espèces, de tailles et de qualité, de la variété des situations portuaires, du poids des traditions, l’informatisation a été complexe à mettre au point et s’est imposée très lentement. La première criée équipée fut Saint-Guénolé – Penmarc’h en juillet 1987. Aujourd’hui, la vente dite électronique est pratiquée dans tous les ports.

Après le tri, tous les lots doivent être enregistrés dans une base de données, une saisie nécessaire pour que les enchères puissent être lancées. Dans certaines criées, l’édition d’un catalogue permet aux acheteurs de s’informer par avance de l’état de l’offre.

La vente reprend une technique déjà ancienne en agriculture : le cadran. Un opérateur affiche les données d’un lot (nom du bateau, espèce, taille, poids) sur un tableau lumineux. Les acheteurs sont installés sur des gradins et, boîtier en main, appuient sur un bouton quand ils veulent soumissionner. Le plus rapide l’emporte.

Les organisations portuaires diffèrent. Ainsi, à Lorient, la vente hauturière s’effectue en salle, hors de la vue du poisson. La vente côtière fait défiler les caisses de poisson sur un convoyeur, devant les mareyeurs et poissonniers assis dans un amphithéâtre. Le poste de vente est situé au-dessus du convoyeur. Dans le Sud-Finistère, ce poste est un chariot mobile qui circule entre les caisses étalées sous les criées. Ce chariot est en fait un grand panneau lumineux sur roues, avec, sur le côté, un écran de commande et un petit siège où se tient l’opérateur.

Chariot mobile

La formation des prix

L’opérateur décide du niveau de lancement des enchères sur la base de sa connaissance du marché. Ces enchères sont montantes ou descendantes selon les criées. A Lorient par exemple, elles sont descendantes avec des pas de un centime.

Les mareyeurs sont informés en permanence par leurs contacts et leurs clients finaux (les grossistes de Rungis ou des marchés publics régionaux par exemple) de l’état de l’offre concurrentielle des autres ports français et de l’importation en volume et en prix et des besoins quantitatifs du marché. Ils savent donc qu’ils pourront revendre un certain volume de produits à un prix donné.

Ce prix ne peut passer sous un certain plancher. C’est le prix de retrait, défini pour chaque espèce par la France et l’Europe et qui est géré par les organisations de producteurs (OP) auxquelles adhèrent la plupart des pêcheurs. Leurs cotisations alimentent des fonds comme dans les assurances. Quand le marché d’une espèce est morose, tout le poisson est vendu au prix de retrait. Quand les arrivages sont trop élevés ou que la demande est trop faible, il n’y a plus de preneur au prix de retrait. Dans ce cas, le poisson doit être détruit ou éventuellement stocké pour une vente différée ou distribué à titre gracieux à des associations caritatives (restos du coeur.). Les pêcheurs reçoivent alors paiement de leur OP sur la base de ce prix de retrait. Compte tenu des limites financières de ces fonds, il n’est pas possible d’assurer cette couverture si le marasme persiste. L’OP invite alors ses adhérents à discipliner leur effort de pêche, soit en limitant les captures de l’espèce à problème soit en ciblant sur d’autres espèces.

Exemple : explication d'un cadran à la criée de Lorient

La vente à distance

L’informatisation devait a-priori offrir la possibilité de mettre les criées en réseau et de changer la logique de vente. Désormais, la vente informatique regroupe des acheteurs présents physiquement sur les lieux et des acheteurs agréés mais opérant à distance par l’Internet. Ces derniers participent aux enchères de la même façon que les présents, mais doivent ensuite s’organiser pour l’expédition de leur marchandise. Depuis son bureau, un mareyeur peut ainsi être acheteur sur de nombreuses criées au même moment. Sous réserve de disposer d’autant d’ordinateurs connectés et de personnels formés en nombre suffisant.

Un tel système permet de réduire les invendus dans la mesure ou, pour un produit difficile à vendre dans tel ou tel port, on multiplie ses chances d’être commercialisé.

La vente à distance

Des paiements garantis

Pour acheter en criée, un mareyeur ou un poissonnier doit déposer une caution dont le montant sera le niveau maximal de ses achats. Ainsi, le pêcheur ou l’armateur est certain d’être payé, le délai actuel étant de 6 a 12 jours. Ce mécanisme était géré par des associations portuaires, avec un inconvénient. Un mareyeur acheteur dans plusieurs criées devait déposer des cautions port par port, ce qui générait d’importants frais financiers. Or, il n’était pas nécessairement client partout tous les jours.

Aujourd’hui, la Bretagne, les Pays de la Loire et la Charente-Poitou fonctionnent sur la base d’associations régionales d’acheteurs qui ont agrégé les cautions. Ainsi, un mareyeur breton qui est acheteur dans plusieurs ports bretons, opère sur la base d’une seule caution.

Un mareyeur à la vente hauturière avec sa télécommande pour arrêter les enchères et deux téléphones portables pour se tenir informé des cours du poisson dans les autres criées

La criée, un système avantageux ?

Le prix conclu en criée reflète les rapports de force du marché. Les difficultés de l’économie espagnole ont amené ce pays à importer beaucoup de poisson du Sud de l’Europe à meilleur marché, ce qui s’est reporté négativement sur les criées bretonnes. Ainsi, en 2009, le merlu breton, dont l’Espagne était le débouché habituel, a été mal vendu.

Des pêcheurs étrangers constatent aussi que le système français présente des avantages commerciaux. Lorient reçoit de temps à autre des bateaux espagnols qui envoient directement leur pêche au pays, tout en présentant aux enchères locales des produits qui sont mieux valorisés sur le marché français. Lorient encore a réussi à convaincre des armateurs du Nord et du Nord-ouest de l’Europe d’envoyer à la criée (par route) certaines espèces dont la France a besoin.

La force des criées et des mareyeurs, c’est leur capacité à valoriser au quotidien une multiplicité d’espèces sur le marché du frais. Ce système ne protège cependant pas de la concurrence internationale, d’autant plus que la production nationale est minoritaire sur les marchés de consommation nationaux. La grande distribution, dominante dans le commerce de détail, est maître du jeu.

ébarquement de nuit - enregistrement des lots - vente aux côtiers (4h30) - vente hauturière (6h

Les criées, quel avenir ?

La réduction de la flotte de pêche place plusieurs criées sous le seuil de rentabilité. C’est le cas de certains ports du Sud-Finistere, région où va s’imposer progressivement une gestion unique sous le terme « Cornouaille Port de Pêche ». En difficulté aussi, les criées du Croisic et de La Turballe s’orientent vers une structure unique. Lorient, qui reste la première criée bretonne, s’en tire mieux et vient de mettre en place un partenariat avec Quiberon, petite criée spécialisée en poisson côtier.

En Bretagne, plusieurs organisations de pêcheurs et les deux principaux transformateurs conduisent une réflexion sur une concentration nouvelle de l’offre pour mieux répondre à la demande du marché. Il s’agirait de se mettre la production en situation plus favorable face aux grandes surfaces et à leurs centrales d’achat nationales. Le débat n’est pas clos et pose beaucoup de questions sur le maintien des emplois dans les ports et dans les magasins de marée.

Les criées, quel avenir ?