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Quelles mesures pour la conservation des ressources halieutiques ?

Construction en acier, motorisation, chalutage par l’arrière des navires, électronique embarquée, etc. En l’espace de quelques décennies, l’extraordinaire amélioration des engins et des techniques de pêche ont décuplé les capacités de prélèvement des flottilles. Cette véritable révolution est allée de pair avec une importante croissance démographique à soutenir et un appétit grandissant pour les produits de la mer.

Dans ces conditions, sans une connaissance approfondie des capacités de production des océans et sans un effort de concertation pour en contrôler l’exploitation, les risques de surpêche menacent à plus ou moins long terme la pérennité d’une activité millénaire. Ainsi, pêcher de façon responsable et durable s’est progressivement imposé à chacun, du politique au pêcheur, comme un défi autant qu’une évidence. L’Union européenne a ainsi inscrit l’objectif d’atteindre pour chacune des espèces exploitées dans ses eaux territoriales le rendement maximum durable (*) d’ici à 2020 dans la dernière Politique Commune des Pêches (PCP).

Au-delà du strict cadre politique et législatif, on peut distinguer 4 étapes majeures dans l’élaboration d’une gouvernance des pêches :

  • La collecte des données d’évaluation (pêcheurs professionnels et scientifiques)
  • L’évaluation des stocks (scientifiques)
  • L’élaboration des règles de gestion (pouvoirs publics et pêcheurs professionnels)
  • Le contrôle de l’application et du respect des règles de gestion (administration)

La gestion des pêches peut s’exercer de différentes façons :

  • soit par des règles d’accès aux eaux : autorisations de pêche spécifiques à certaines zones de pêche
  • soit par un encadrement de l’effort de pêche, à travers notamment une limitation de la présence des navires sur une zone
  • soit par un contingentement des captures, les quotas. C’est la modalité de gestion la plus connue.

 

* Qu’est ce que le rendement maximum durable ou RMD ?

La FAO définit le Rendement Maximal Durable (RMD) par la plus grande quantité de biomasse que l’on peut extraire en moyenne et à long terme d’un stock de poissons dans les conditions environnementales existantes sans affecter le processus de reproduction. Selon la dernière évaluation du Comité scientifique technique et économique des pêches (CSTEP), 39 des 66 stocks évalués dans l’Atlantique Nord-Est ont été exploités en 2015 dans la limite du RMD (ce qui équivaut à 59 %, contre 52 % l’année précédente).

Alain Biseau, biologiste spécialiste des pêches à l’Ifremer

« Sauf à de rares exceptions, la situation des stocks dans les eaux européennes s’est beaucoup améliorée. Même si tout est encore loin d’être parfait, ces bons résultats sont le fruit des efforts consentis par les professionnels en application d’une gestion rigoureuse. Depuis le début des années 1980 et la fondation d’une Europe bleue, nous avons pu observer une prise de conscience collective sur l’importance de préserver les ressources halieutiques. Les relations avec les professionnels se sont au fil du temps améliorées pour aboutir à une relation gagnant-gagnant, mais malgré tout, les scientifiques ne savent pas toujours tout avec la meilleure précision et en temps réel. L’intérêt des pêcheries exige pourtant un modèle d’exploitation avec une certaine visibilité. Limiter les variations interannuelles des TAC et la mise en place de plans de gestion pluriannuels permettent d’améliorer cette visibilité sans pouvoir assurer une véritable stabilité des captures compte tenu des fluctuations naturelles des ressources. »

Les quotas de pêche, comment ça marche ?

La gestion des pêches dans l’Union européenne s’appuie essentiellement sur un système des quotas instauré par un règlement communautaire en janvier 1983. Véritable pierre angulaire de la PCP, le contingentement des captures consiste à limiter la quantité des poissons qui sont pêchés dans les eaux communautaires des États membres. Il s’agit d’obtenir une exploitation équilibrée des ressources halieutiques en vue de leur conservation.

Ainsi, chaque année lors du Conseil des ministres Pêche européens, sont fixés les totaux admissibles de captures (TAC), stock par stock. Ceux-ci sont répartis entre les États membres sous formes de quotas nationaux selon le principe de « stabilité relative » par lequel chaque état reçoit un pourcentage fixe.

 

Le niveau des TAC est essentiellement basée sur l’évaluation scientifique de l’état des stocks. Cette évaluation procède par plusieurs étapes :

  • Première étape : le recueil des données de captures et d’effort de pêche par l’intermédiaire des journaux de pêche et par les observations à bord des navires de pêche.
  • Seconde étape : le recueil des données biologiques par l’intermédiaire d’échantillonnages à bord des navires de pêche ou en halle à marée pour la composition des captures par âge/taille des poissons, ainsi que d’indices d’abondance issues de campagnes scientifiques en mer.
  • Troisième étape : la modélisation de la dynamique de chaque stock et simulation de l’évolution du stock en fonction de plusieurs paramètres (le recrutement, la croissance individuelle, la mortalité naturelle, la mortalité par pêche).

La taille d’un stock varie en fonction des conditions (température, salinité, etc.) et de la qualité (pollution, préservation des habitats) du milieu. Ensuite, la disponibilité́ en nourriture affecte à la fois le succès de la reproduction, la croissance individuelle et la mortalité́ naturelle des poissons. De même, les interactions entre espèces influent sur l’état d’un stock : lorsqu’une population de prédateurs augmente, la biomasse des proies tend ainsi à diminuer. Vient enfin la pression de pêche, qu’il est possible d’ajuster à travers les TAC et quotas.

Le travail fondamental qui consiste à estimer l’état d’un stock de poissons et l’intensité de la pêche exercée sur celui-ci compatible avec l’objectif de gestion retenu est mené par différentes instances dont principalement :

  • Le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM ou ICES en anglais) coordonne la recherche sur les ressources et l’environnement marins dans l’Atlantique Nord-Est. Cette organisation inter-gouvernementale créée en 1902 et basée à Copenhague fédère le travail d’environ 1 600 scientifiques venant principalement des 20 pays membres riverains de l’Atlantique Nord (Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, Estonie, Finlande, France,  Islande, Irlande, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal, Russie, Espagne, Suède, Royaume-Uni, États-Unis) et fournit les recommandations sur la gestion des ressources à la Commission européenne qui ensuite les soumet au Conseil européen des Ministres de la pêche. C’est sur la base de ces avis que sont décidés les TAC et quotas de pêche.
  • Le Comité scientifique technique et économique des pêches (CSTEP ou STECF en anglais) intervient de son côté dans l’évaluation des plans de gestion proposés par la Commission européenne ou par les professionnels au sein des Comités consultatifs régionaux en intégrant des considérations socio-économiques. Limité à une trentaine de membres, ce collège d’experts est désigné pour une période de trois ans par le responsable de la direction générale des affaires maritimes de l’Union européenne (DG Mare).

Olivier Le Nezet, président du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Bretagne

« Pour des décisions cruciales comme l’interdiction de la pêche en eaux profondes, les eurodéputés sont invités à arbitrer des enjeux dont ils sont pour la quasi-totalité complètement étrangers. Face à eux, les lobbies les harcèlent littéralement pour faire pencher la balance en leur faveur. Ils assurent représenter la société civile, et défendent le plus souvent les intérêts d’une cause environnementaliste soutenue par des fonds de pension et de puissantes multinationales. Au final, le processus s’apparente à la roulette russe pour des marins pêcheurs qui ne demandent qu’à pouvoir travailler et qui ne disposent pas des mêmes armes de communication pour plaider leur cause. C’est ainsi que les attaques répétées contre la pêche en eaux profondes ont donné naissance à l’association Blue Fish dont l’objectif est de faire connaître aux décideurs européens la réalité des pratiques de la pêche, les efforts constants des professionnels pour arriver à pérenniser leur activité. Nous devons maintenant anticiper les enjeux sur lesquels nous aurons à répondre demain, comme par exemple le bien-être animal. »

Un contrôle spatialisé

Afin d’organiser la gestion des pêches, l’océan est délimité en plusieurs zones, sous-zones, divisions et sous-divisions qui sont reconnues par l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Correspondant aux différents bassins de pêche, ces espaces permettent sur la durée une meilleure observation de l’abondance ou non des différentes espèces qui l’habitent.

Ainsi, la zone FAO 27 correspond aux eaux qui jouxtent les côtes européennes en Atlantique Nord Est, de la Mer de Barents à l’archipel des Açores. Elle comprend 14 sous-zones, ainsi que 99 divisions et sous-divisions. Les quotas réservés aux sous-zones VI (Nord Ouest des îles Britanniques), VII (Manche et Mer Celtique) et VIII (Golfe de Gascogne) sont particulièrement observés au sein des pêcheries bretonnes. A chacune de ces zones géographiques sont allouées annuellement des TAC selon les espèces qui peuvent y être capturées.

Une des principales difficultés provient du fait que beaucoup d’espèces, tout particulièrement les poissons pélagiques, qui vivent dans la colonne d’eau, franchissent allègrement ces frontières virtuelles. Voilà aussi pourquoi des organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) peuvent intervenir pour la gestion multilatérale des pêcheries qui exploitent des espèces largement réparties en haute mer, souvent hors de la zone économique exclusive communautaire. Depuis 1969, la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA ou ICCAT en anglais) gère directement une trentaine d’espèces (thon rouge, thon blanc, thon listao, thon albacore…) que ciblent plusieurs pays de l’Union européenne.

Une autre difficulté majeure vient du fait qu’à chaque zone correspond aussi des règles de souveraineté diverses. Le contrôle des pêches répond à une réglementation européenne très stricte (suivi satellitaire obligatoire par VMS pour les navires de plus de 12 mètres, journal de bord électronique), mais son application sur le terrain n’est pas toujours simple. Une réalité qui est avérée dans les eaux internationales, mais aussi intra-communautaires. Créée en 2005 et implantée à Vigo en Espagne, l’Agence européenne de contrôle des pêches (ou EFCA en anglais) doit faire en sorte que les règles de la politique commune de la pêche soient respectées et appliquées de manière efficace. Il demeure que les moyens opérationnels mis en œuvre ne sont pas identiques d’un État membre à l’autre. En France par exemple, plusieurs administrations s’avèrent compétentes dans le domaine de la pêche : la Marine nationale, les Affaires maritimes, la gendarmerie maritime, les douanes.

Une fois qu’ils ont été attribués, les quotas font ensuite l’objet en France d’une gestion collective par l’intermédiaire des organisations de producteurs (OP) qui se voient confiés des sous-quotas. On dénombre une douzaine de ces instances professionnelles qui sont le plus souvent attachées à un territoire (From Nord, OP Basse Normandie, Les Pêcheurs de Bretagne, From Sud-Ouest, etc.), sinon à une pêcherie spécifique (Orthongel). Ces structures ont à charge d’établir des plans de gestion des sous-quotas entre leurs adhérents, l’idée consistant à les atteindre sans les consommer trop rapidement afin d’équilibrer les exploitations. La répartition initiale entre les OP et les producteurs dépend du critère des « antériorités » qui ont été déterminées d’après le niveau de capture des navires selon des années de référence.

Yves Foëzon, directeur de l’organisation de producteurs Les Pêcheurs de Bretagne

« Nous avions un espoir de démocratie à travers la mise en place du processus de co-décision pour tout ce qui relève de la pêche. Cependant, le fait que la Commission européenne soit capable de décider tous les ans en une journée de l’avenir de milliers de marins pêcheurs est assez problématique. D’autres part, sur des sujets brûlants, on voit l’incapacité du Conseil des ministres à prendre des décisions. Pour ce qui relève du Parlement, l’omniprésence de grands lobbies fait que nous avons toutes les difficultés du monde pour faire entendre notre voix. En réalité, on voit surtout l’entêtement de Bruxelles à imposer certaines mesures qui, comme les obligations de débarquement, s’avèrent difficilement applicables. En outre, la sortie imminente du Royaume-Uni de l’Union européenne risque de donner à certains pays comme l’Espagne l’occasion de rebattre les cartes de la stabilité relative qui était jusqu’ici assez favorable à la France, en tous cas sur un certain nombre de quotas. C’est cet environnement très complexe qui rendent incompréhensibles les mesures de gestion pour beaucoup de marins pêcheurs. »

Vers une évolution réglementaire ?

Délicats mélanges d’observation empirique et d’anticipation théorique, de rigueur technocratique et d’adaptation à des droits d’usage, les TAC et quotas font autant l’objet d’âpres négociations que de critiques récurrentes.

Le fait qu’ils varient chaque année constitue un premier angle d’attaque puisqu’ils ne facilitent pas la visibilité des exploitations à la pêche. Ces mesures s’inscrivent néanmoins de plus en plus dans le cadre de plan de gestion pluriannuels. Attachés à des zones géographiques données, ces plans définissent des mesures à mettre en place et les délais pour atteindre les objectifs en matière de RMD. Pour la mer Baltique par exemple, a été adopté en juillet 2016 le 1er plan pluriannuel de gestion de la PCP réformée pour le cabillaud, le hareng et le sprat.

Un autre ajustement envisagé pour faire évoluer le cadre réglementaire est la mise en place de quotas individuels transférables (QIT). Existant dans des pays extra-communautaires (Islande par exemple) et dans certains pays de l’Union européenne dans des cas précis, ce système attache les quotas aux entreprises de pêche et autorise leur cession entre ces dernières. Le dispositif, proposé lors de la réforme de la PCP, a été rejeté au motif qu’il pourrait favoriser une concentration capitalistique au détriment de la grande diversité du secteur. Dans un avis rendu fin 2015, l’Autorité de la concurrence s’est toutefois montrée favorable à son instauration, jugeant qu’il remédiait aux différentes discriminations issues de l’application du critère des antériorités.

Pour éviter les dérives spéculatives imputables aux QIT et contourner les pesanteurs de la gestion collective déléguée aux OP, une solution intermédiaire tend à être développée en France sous forme de quotas individuels administrés (QIA) qui peuvent être échangés sans contrepartie financière. Parallèlement à la délivrance des licences de pêche ainsi que des permis de mise en exploitation (PME) qui limite l’effort de pêche, l’Etat peut également par ce biais maintenir une position de régulateur.

La gestion actuelle des pêches en présente des limites significatives. Tout d’abord, elle ne prend pas en compte les prises accessoires, le plus souvent rejetées à la mer, ce qui a motivé la nouvelle réglementation européenne sur l’obligation de débarquement (voir dossier n°11). Plus globalement, elle passe sous silence la destruction des habitats, les pollutions diverses, l’aménagement des zones côtières, le changement climatique…Une approche écosystémique semble alors devoir s’imposer afin d’optimiser les méthodes de gestion à même de préserver les ressources halieutiques.

Damien Le Floc’h, patron du chalutier lorientais Oural

« On a un peu le sentiment que plus on en fait, plus on nous en demande. Nous ne ménageons pas nos efforts mais ça revient rarement dans notre sens. Voilà pourquoi une délégation comprenant une vingtaine de pêcheurs professionnels bretons s’est pour la première fois rendue dernièrement à Bruxelles. Il faut que les décideurs européens apprennent davantage à connaître notre quotidien, nos espoirs, nos contraintes. L’impression domine qu’ils sont menottés par des fausses idées sur notre travail. Nous ne sommes pas ces destructeurs ainsi que la plupart des lobbies européens aiment à nous présenter. En quoi aurions-nous intérêt à scier la branche sur laquelle nous sommes assis ? En raison de l’évolution des quotas chaque année, nous n’avons pas une bonne visibilité pour notre activité. Pourtant ce métier, j’y crois énormément. Nos conditions se sont beaucoup améliorées ces dernières années. En revanche, c’est toujours plus difficile de s’installer et d’investir dans des bateaux neufs. »

Dossier et photos réalisés par Bertrand Tardiveau - décembre 2017